L'actuel mouvement de la musique « libre » n'aurait pu naître sans le wèbe, c'est une évidence qui crève les yeux. Jamais, dans toute l'histoire de l'espèce humaine, il n'a été possible de transférer si aisément — et si rapidement — des données d'un bout à l'autre de la planète. Et, à plus forte raison, des morceaux de musique.
En raison de cette facilité, des obstacles sans cesse plus nombreux — vous avez dit DADVSI ? — ont commencé à s'élever pour empêcher, entre autres, la libre circulation de la musique. Et la plupart des obstacles en question sont de nature juridique. Car, voyez-vous, toute musique a un, que dis-je ? des propriétaires, des ayant droits, appelez-les comme vous voulez. Derrière une chanson, il peut y avoir tout un tas de personnes, physiques ou morales, qui réclament leur dû, de l'auteur et du compositeur au producteur et à l'organisme de gestion, en passant par l'interprète et, éventuellement, l'arrangeur. Même si l'un des maillons de cette chaîne décide de renoncer à tout ou partie de ses droits pour faciliter — par exemple — la diffusion, les autres sont là pour l'en dissuader.
Le mouvement de la musique libre est aussi né de là. De cette volonté de contrôle total de la part de certains ayant droits ou de leurs représentants. Ainsi, avec la SACEM, c'est tout ou rien : si vous y êtes, vous y êtes pour ainsi dire corps et âme. Impossible d'y déposer certains de vos morceaux chez eux et de faire ce que vous voulez du reste, comme ça se passe par exemple au Québec. La SACEM veut l'exclusivité. Le monopole.
Je n'ai pas l'intention de juger ici cette politique, qui peut tout à fait se défendre. Après tout, comme je l'ai déjà écrit ailleurs sur ce blogue, la SACEM est née d'une idée nécessaire et généreuse : rétribuer auteurs et compositeurs de musique en fonction de l'utilisation qui est faite de leurs œuvres. Et elle continue à accomplir cette fonction depuis un siècle et demi. Peut-être est-elle mal gérée, comme le disent certains ; peut-être — sûrement — a-t-elle besoin de s'adapter à un monde qui évolue très vite. Cela viendra assurément.
Ce qui me paraît clair, c'est que la musique libre, mouvement d'apparition récente, a pris de vitesse cette vieille dame un peu bornée. Parce qu'un artiste cherche avant tout à faire connaître son art, et à toucher le plus grand nombre de gens possible. Or, dans le cas de la musique, l'évolution technologique des vingt dernières années a déclenché ce que j'appellerais bien une révolution si le terme n'était pas tant galvaudé. Grâce à tout un tas d'innovations techniques que je ne vous ferai pas l'affront d'énumérer, de plus en plus de gens enregistrent aujourd'hui leur musique à moindre frais. Ce n'était pas le cas il y a ne serait-ce qu'un quart de siècle ; ça explique pourquoi de nombreux groupes n'ont pas laissé de trace discographique — ou si peu.
On n'a jamais produit autant de musique enregistrée. Et ce n'est pas fini.
Seulement, si tous ces morceaux existent, c'est bien pour qu'on les écoute. Là intervient l'innovation technologique ultime, la cerise sur le gâteau, j'ai nommé le wèbe. Une chanson mise en ligne possède des millions, des dizaines de millions, bientôt des milliards d'auditeurs potentiels. (Savoir si elle va les trouver est une autre question.) Mais, pour que cette diffusion soit efficace, elle doit être gratuite. Ben oui. Parce que la plupart des gens qui ont envie d'échanger ou de diffuser de la musique sur le wèbe n'ont pas de sous à filer à la SACEM ou à tout autre organisme équivalent : ils fonctionnent sur l'idée de partage.
Dès lors, les artistes sont confrontés à une alternative simple : soit ils s'inscrivent à la SACEM, en échange de quoi ils seront rémunérés pour toute utilisation d'une de leurs œuvres mais perdront également le droit de décider qui peut diffuser leur musique et sous quelles conditions ; soit ils décident de ne pas s'y inscrire, choisissent une licence libre, protègent leurs morceaux d'une manière ou d'une autre et lâchent leur bébé sur le réseau.
Cette deuxième démarche n'a évidemment aucun intérêt si vous vous appelez, au hasard, Didier Barbelivien. Mais personne ne s'étonnera qu'elle apparaisse infiniment séduisante à tous ceux qui préfèrent être écoutés plutôt que de toucher — un peu — d'argent. Et ils sont de plus en plus nombreux, pour les raisons évoquées plus haut.
Attention, je ne parle pas seulement des amateurs qui bricolent pour le plaisir et aux yeux de qui la question financière est secondaire. Ce n'est pas parce que vous laissez les gens partager gratuitement votre musique que vous ne pouvez pas vendre des disques, donner des concerts, etc. Même si la musique libre doit encore trouver un ou des modèles économiques viables, elle n'attire pas que des dilettantes. N'oublions pas que beaucoup d'artistes inscrits à la SACEM — ceux dont les morceaux ne sont quasiment jamais diffusés dans les médias — ne touchent que des clopinettes.
Je n'aime pas faire des prévisions — et encore moins des prédictions, c'est une déformation professionnelle. Néanmoins, il est difficile de nier que nous sommes au début de quelque chose. Si vous avez bien suivi le raisonnement ci-dessus, vous tomberez d'accord avec moi sur l'idée que le phénomène de la musique libre ne peut tout simplement pas retomber. Jusqu'où croîtra-t-il ? Bien malin qui saurait le dire aujourd'hui.
Nous avons les outils. À nous d'apprendre à nous en servir, non dans le but de faire concurrence à la SACEM, mais bel et bien pour porter notre travail — notre art — à la connaissance du plus grand nombre de gens possible en toute indépendance et en toute liberté.
samedi, septembre 30, 2006
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2 commentaires:
Un article pour une bonne base. Mais encore à développer. Une petite erreur à propos de la liberté de l'oeuvre. En fait le "mouvement libre" a toujours existé. J'irai jusqu'à dire que c'était la norme "avant" le droit d'auteur classique (rapports de Lakanal et Beaumarchais).
Rendre une certaine liberté (pour ma part j'opte pour la rendre intégralement) c'est redonner la nature impalpable, volante et fugace de la création artistique. Le bonnet phrygien est de circonstance, pour l'art aussi.
L'art est, à mon sens, un ensemble de liens entre le "produit", le "processus" et le "public". Il est idiot d'avoir voulu, avec un droit d'auteur trop rigide ainsi qu'avec des pratiques très extrèmes, imposer l'interprétation de l'oeuvre (la sacem et les écoles primaires). Maintenant, avec DADVSI et les DRM, on en arrive a imposer même les conditions d'exécution des oeuvres numériques... cela va trop loin. J'espère qu'assez de personne s'en rendront compte et éviteront d'acheter ces produits qui "tuent la liberté de l"oeuvre".
Longue vie au libre et non aux DRM.
Certes, c'est bien pourquoi j'ai parlé de l'« actuel » mouvement de la musique libre — de la forme qu'il a prise au XXIe siècle.
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